Récupérer sa terre… pour en faire quoi ?

En Indonésie, l’Etat et les firmes privées exproprient impunément les terres des paysans afin de cultiver l’huile de palme, très prisée dans les pays du Nord. Le témoignage de Zubaidah, qui a récupéré sa terre après des années de lutte. Mais elle ne pourra plus vivre de sa culture.

Zubaidah s’en souvient comme si c’était hier. En 1999, elle a vu 200 policiers armés débarquer sur sa terre, au Nord de Sumatra : « ils sont venus  avec la pelleteuse pour écraser mes champs de palmier et de maïs et ils ont écrasé mes cultures de soja avec leurs voitures ». Ce « petit bout de femme » vivait alors de la culture traditionnelle sur sa terre de 600 hectares, héritée de ses grands-parents. Mais c’était avant que l’Etat ne la lui vole pour y cultiver du palmier à huile. « Dès 1994, l’Etat a grignoté de la place sur mon terrain, mais cela ne se voyait pas. En 1997, il ne m’appartenait déjà plus légalement mais je ne le savais pas non plus : j’y vivais encore ! » Généralement, quand l’Etat fait « une visite » aux agriculteurs, il « récolte » les champs de plusieurs d’entre eux en une seule fois, sur des surfaces avoisinant 100 000 hectares. Quand ce n’est pas l’Etat, ce sont les sociétés privées qui prennent les terres… avec l’autorisation de l’Etat.

L’histoire de Zubaidah ressemble donc à celle de milliers de paysans indonésiens. Dans les années 90, ceux-ci ont brusquement perdu leur terre. De grandes entreprises publiques ou privées, industrielles ou étrangères, attirées par un retour sur investissement rapide à l’exportation et soutenues par un vide juridique se les sont appropriées. Parmi elles, on peut citer la Perkebunan Nusantara IV, société publique chargée de la plantation Nusantara ; la Bakrie Sumatera Plantations – qui appartient au conglomérat contrôlé par la famille Bakrie, l’une des plus puissantes du pays – et la Lonsum (London Sumatra), une société britannique.  Sur le terrain, c’est souvent le même scénario : l’Etat ou les entreprises viennent avec des militaires et/ou des policiers et excluent sans somation les paysans de leur propre terre. Ces entreprises ont généralement pris le soin de se doter auparavant d’un acte de propriété, accordé pour « raison d’Etat » [en 2005, le gouvernement a voté une loi qui lui  octroie, de manière unilatérale, le droit d’exploitation d’une terre pour des «raisons de développement», ndlr].

Spoliation légalisée

Face à ce qu’il faut bien appeler un vol, Zubaidha s’est battue avec sa coopérative, la SPI (Serikat Petani Indonesia – Union des paysans d’Indonésie), dont les membres travaillent en commun sur l’ensemble des champs. « Quand l’Etat exproprie une terre, le syndicat persuade le paysan spolié de ne pas s’en aller. Il leur explique que la terre leur appartient (et non à l’Etat). Il les aide aussi à se battre pour récupérer leur terre : le cultivateur revient ainsi régulièrement sur sa terre, épaulé par une cinquantaine de personnes issues de la coopérative », explique-t-elle. Les paysans peuvent aussi porter plainte, mais dans la plupart des cas ce n’est jamais résolu. Ou bien la justice tranche en faveur de l’Etat et des sociétés privées. Du légal, l’affaire devient donc politique. Le SPI fait donc également du lobbying auprès des parlementaires, élus dans les différentes provinces. Des manifestations locales ou nationales, devant le parlement, sont également organisées.

Zubaidah a presque de la chance. En 2004, elle a récupéré sa terre, même si la situation n’est pas toujours officialisée par l’Etat. Mais sur sa terre, il n’est plus question de culture traditionnelle. La monoculture de palme pratiquée par l’Etat a appauvri ses champs, dont la terre n’est plus assez fertile pour du riz ou du soja. Elle doit donc poursuivre cette culture, pratiquée également sur les champs voisins de la société Lonsum, qui s’est installée sur près de 10 000 hectares. « Après le palme, c’est difficile de planter autre chose, et ça l’est encore plus à côté d’une si grande surface. Mais je suis perdante car la culture de palme ne fait pas vivre les Indonésiens, comme le riz ou le soja. Je ne peux ni leur revendre mes cultures, ni même manger ce que je produits »… Par ces mots, elle résume ainsi tout le paradoxe de la mondialisation de notre économie.

Carte des conflits liés à l’huile de palme en Indonésie (Source chiffres: Amis de la terre)


A propos Celine Boileau

Journaliste
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